97% des travailleurSEs du sexe en France sont victimes de la traite des êtres humains
FAUX Cette déclaration de l’ancienne secrétaire des droits des femmes Pascale Boistard au Sénat (1) ne se base sur aucune réalité scientifique, mais sur un amalgame entre le nombre de travailleuses du sexe migrantes et le nombre de victimes de la traite. L’OCRTEH estime en effet à 80% le nombre de «prostituées étrangères», chiffre qui a été repris pour désigner les victimes de la traite par les militants prohibitionnistes. A la longueur des débats, le pourcentage a été augmenté pour les besoins de cette cause. La seule étude menée en France à ce sujet (Mai 2015) (2) estime qu’environ 7% des travailleuses du sexe en France seraient potentiellement victimes de la traite, chiffre montant à 11% si on ne prend en compte que les migrantes. C’est un nombre important mais éloigné des affirmations des défenseurs de la pénalisation des clients dont le but est de présenter toute prostitution comme forcée. Ce chiffre est assez proche des estimations déjà connues au Royaume-Uni (9,4%) (3), au Danemark (4%) (4), en Hollande (8 à 10%) (5) ou en Nouvelle-Zélande (3,9%) (6).
La loi pénalisant les clients a pour but de lutter contre la traite
FAUX Le seul article de la loi concernant la lutte contre la traite est l’article 1er visant à bloquer l’accès aux sites Internet. Aucune différence n’étant faite entre « l’aide à la prostitution », l’organisation sans contrainte du travail sexuel, et la traite des êtres humains, ce sont potentiellement tous les sites d’escortes qui peuvent être visés indistinctement. Il ne s’agit donc pas de lutter contre la traite mais contre le travail sexuel dans son ensemble. Outre que le blocage des sites web est souvent critiqué comme inefficace dans la lutte contre la pédo-criminalité ou le terrorisme, la traite des êtres humains étant déjà pénalisée, la loi n’apporte rien de plus. En revanche, les syndicats de police craignent que la pénalisation des clients complique leur travail en divertissant leur attention sur les clients plutôt que sur les trafiquants. A noter également, que si le volet répressif est complet, la protection des victimes n’est toujours pas suffisante.
La loi aide les victimes de la traite
FAUX Les aides prévues dans la loi sont restreintes, non chiffrées, et conditionnées à l’approbation d’une commission surveillant un « parcours de sortie de la prostitution ». Seules quelques victimes (moins de 30 en 2017) peuvent donc bénéficier d’une aide qui reste à définir, et seulement dans l’optique d’arrêter le travail sexuel. Dans leur majorité, les victimes de la traite n’ayant pas d’autre solution que de continuer le travail sexuel, elles ne peuvent pas en bénéficier. La rapporteure de la loi s’était opposée à lever la condition d’obtention d’un titre de séjour (de six mois seulement) à « l’arrêt de la prostitution », ce qui a été dénoncé par le Défenseur des Droits comme contraire au principe d’égalité. Cela créé en effet une différence de traitement entre les victimes de la traite : celles méritantes qui parviendraient à arrêter le travail sexuel dans les conditions prévues par la loi, et les autres.
La pénalisation des clients réduit le nombre de victimes de la traite
FAUX La logique prohibitionniste veut que la demande des clients pour des services sexuels crée la demande pour la traite. Il suffirait donc d’empêcher le travail sexuel pour empêcher la traite. En pratique les choses ne se font pas aussi magiquement. La traite des êtres humains n’est pas un phénomène particulier aux industries du sexe mais existe dans la plupart des industries dans lesquelles les droits des travailleurs ne sont pas garantis ou lorsqu’une main d’œuvre sans papiers ne peut bénéficier d’aucune protection. En Suède, présentée en modèle, la police a publié un rapport sur la traite qui montre pourtant une augmentation du phénomène. (7) Le tableau ci-dessous reprend les chiffres des différentes infractions identifiées. En Norvège, le nombre de victimes identifiées bat régulièrement de nouveaux records, dont une majorité de victimes à des fins de prostitution forcée. (8) Enfin en France, le nombre de femmes nigérianes victimes de la traite accompagnées par les Amis du Bus des Femmes a augmenté de 33% en 2017 par rapport à 2016 année du vote de la pénalisation.
Source : Statistics – National Crime Prevention Council (BRÅ) 2012
La pénalisation des clients réduit le nombre de travailleuses du sexe
FAUX En Suède, le nombre de travailleurSEs du sexe de rue a diminué dans un premier temps mais est revenue à ses niveaux initiaux (9) tandis que le nombre d’escortes sur Internet a augmenté passant selon les autorités suédoises de 586 annonces avant la loi à 7667 en 2014. (10) La police suédoise parle également d’un triplement des salons de massage clandestins à Stockholm ces dernières années. (11) En France, aucune diminution du nombre de travailleuses du sexe n’a été constatée depuis 2016.
Ne pas pénaliser le travail sexuel est un cadeau aux trafiquants
FAUX En Nouvelle-Zélande, la traite des êtres humains est restée faible après la dépénalisation du travail sexuel en 2003. Y compris dans les pays qui n’ont pas dépénalisé, mais réglementé le travail sexuel comme en Hollande ou en Allemagne (12), il n’y a aucune preuve scientifique que la traite ait augmenté. Malgré de plus grandes activités de la police, les rapports annuels (13) de l’office fédéral de police criminelle allemand (BKA) ne montrent aucune augmentation significative des victimes. En 2003, un an après l’adoption de la loi sur la prostitution, le BKA a enregistré au total 1235 victimes présumées de la traite, un pic isolé en nombre par rapport aux années suivantes: 2003 (1235), 2010 (610), 2011 (640), 2012 (612). En 2013, il y avait 542 victimes présumées de la traite. Cela représente une baisse de près de 44% depuis 2003.
La « prostitution » est en soi dommageable à la santé physique et psychique
FAUX Le Conseil National du Sida (CNS) affirme dans son rapport de 2010 que: «l’activité prostitutionnelle ne représente pas en elle-même un facteur de risque de transmission du VIH/sida, ni pour les personnes qui l’exercent, ni pour leurs clients» (14). Cette position est proche de celle de l’Inspection Générale des Affaires Sociales (IGAS) qui estime quant à elle au sujet des risques de santé qu’ils: « se manifestent avec une acuité très variable selon les modes et les conditions d’exercice, et selon le profil des personnes qui se prostituent.» (15) C’est donc une multiplicité de facteurs qui prévaut et non l’exercice du travail sexuel comme cause unique ou principale. De son côté, la Haute Autorité en Santé a publié un rapport en 2016 compilant une cinquantaine d’études sur le sujet. Hormis une surexposition aux violences et une surconsommation de tabac, il n’est pas possible scientifiquement d’affirmer que les travailleurSEs du sexe souffrent davantage de troubles physiques ou psychiques que la population générale. (16)
L’âge moyen d’entrée dans la prostitution est de 13 à 14 ans
FAUX La seule étude permettant d’obtenir ce chiffre est une étude américaine sur la prostitution des mineurs. (17) Celle-ci déclare en effet que « The age range of entry into prostitution for the boys, including gay and transgender boys, was somewhat younger than that of the girls, i.e., 11-13 years vs. 12-14 years, respectively. » En revanche, il n’est pas permis d’établir une telle moyenne pour l’ensemble de la population des travailleurSEs du sexe en prenant en compte les personnes majeures.
La politique abolitionniste de la France permet de n’avoir que 20 000 travailleurSEs du sexe tandis qu’il y en a 400 000 en Allemagne
FAUX Les chiffres français et allemands n’ont aucune base scientifique et ne sont que des estimations. Les chiffres français viennent de l’OCRTEH qui base son estimation principalement sur les arrestations pour racolage. Elle ne prend donc en compte presque que le travail de rue qui depuis l’essor d’Internet et des nouvelles technologies de communication devient de plus en plus minoritaire. A l’inverse, le chiffre allemand est probablement surestimé en partie pour critiquer sa législation.
On ne peut pas faire une loi pour une minorité de personnes qui disent bien vivre leur «prostitution»
FAUX Les travailleurSEs du sexe qui s’opposent à la pénalisation des clients, qu’elles vivent bien ou mal leur travail sont en fait majoritaires. D’après l’étude menée par le professeur Nicola Mai de l’université d’Aix-Marseille, «98% des prostituées interrogées sont opposées à la pénalisation des clients». (18) Ces chiffres corroborent ceux trouvés en Irlande du Nord lors d’une enquête similaire. (19)
Pour en savoir plus sur la manipulation des faux chiffres dans les débats sur le travail sexuel, voir cet article de Lilian Mathieu lilian [dot] mathieu [at] ens-lyon [dot] fr
Centre Max Weber, CNRS - ENS de Lyon
Lien: Cairn
De l’objectivation à l’émotion. La mobilisation des chiffres dans le mouvement abolitionniste contemporain.
(1) Lien: Sénat
(2) Lien: LANES CNRS (PDF)
(3) ACPO 2010
(4) Lien: Altinget (PDF)
(5) Rapport Regioplan, et Hendrik Wagenaar, Université de Sheffield
(6) Lien: justice.govt.nz (PDF)
(7) RPS Report 2012 Lien: Polisen
(8) Rapports Aftenposten, Coordinating Unit for Victims of Trafficking Lien: The Nordic Page
(9) Kulick, 2003, 2004; Levy, 2014 Lien: CRJ (PDF)
(10) Lien: Laansstyrelsen (PDF)
(11) RPS report 2012 Lien: Polisen (PDF)
(12) Lien: Research Project Germany
(13) Lien: BKA
(14) Conseil national du sida, « VIH et commerce du sexe. Garantir l’accès universel à la prévention et aux soins, 16 septembre 2010. Lien: CNS
(15) IGAS, Prostitutions : les enjeux sanitaires, Décembre 2012, p4 Lien: IGAS (PDF)
(16) Rapport Etat de santé des personnes en situation de prostitution, 2016 Lien: HAS Santé (PDF)
(17) Lien: maggiemcneill (PDF)
(18) Lien: Aix Marseille Université (PDF)
(19) Lien: The Guardian