Le 15 octobre dernier a été déposée une proposition de loi visant à “sécuriser les droits des personnes qui se prostituent pour garantir un exercice plus sûr”. (1)
Cette proposition présentée par le député Philippe Juvin est une manifestation parlementaire qui nous semble inédite puisqu’elle se prétend favorable aux droits des travailleurEUSES du sexe (TDS), ainsi qu'à la reconnaissance des discriminations spécifiques que nous subissons comme mettant en péril notre sécurité. Cette PPL semble davantage chercher à protéger les propriétaires d’établissements accueillant du public et les propriétaires de biens privés plutôt que nous, les TDS.
Pour autant nous autres TDS subissons également les assauts classistes, racistes et transphobes de la droite et de l'extrême droite, à l'instar d'autres groupes marginalisés dans notre société néolibérale, sexiste et racialiste. Nous ne sommes pas dupes face à leur stratégie de division de notre classe sociale. Nous déplorons que cette proposition serve des desseins populistes et racistes en divisant notre communauté. Nous ne sommes et ne serons jamais les pantins des enjeux de politiques électoralistes.
Dans les faits, les lois sur le proxénétisme prohibent aux TDS de vivre en communauté pour leur protection et par intérêt économique. Nous pouvons nous faire expulser de nos locations en raison de notre profession et nous ne sommes pas autoriséEs à cogérer des plateformes en ligne pour la communication de notre service (comme peut le faire le site Suisse communautaire et gratuit Call me To Play). En somme, cette loi ne nous permet pas d’accéder au droit commun comme le logement, avoir un compte bancaire, un lieu de travail, une vie privée, un statut cohérent avec notre activité.
En résumé, les droits fondamentaux s’appliquent à toute personne sauf aux TDS. ConsidéréEs comme des victimes depuis la loi de 2016 pénalisant les clients (2), les dispositions du Code pénal sur le proxénétisme en font surtout des criminelLEs à la moindre action, alors que c’est l’entraide communautaire qui protège les TDS. Criminaliser la solidarité nous isole et augmente au contraire les risques. La dégradation des conditions d’existence éloigne d’autre part de l’accès au soin, dont la conséquence directe est la détérioration collective de notre santé.
Nous maintenons fermement notre position sur la reconnaissance pleine de notre activité comme un travail et sa décriminalisation. Les exemples à l'international se basant sur un modèle législatif de décriminalisation et de dépénalisation nous prouvent ses effets positifs : diminution des violences, de l'exploitation humaine et du stigmate contre nos communautés. Nous dénonçons le fait que cette proposition n’arrive qu’après les décès de cinq travailleurEUSES du sexe en l’espace de trois mois.
Les rédacteurs de cette proposition de loi se réfèrent à la Belgique où la décriminalisation a été introduite et élaborée par Utsopi (3), or ces mêmes rédacteurs n'ont à aucun moment consulté le syndicat concernant le public concerné, le Strass (4) ni avec l’organisme regroupant les collectifs et associations de santé communautaire des personnes concernées, la Fédération Parapluie Rouge (5). Nous sommes pourtant issues d’un long parcours de lutte contre le VIH/SIDA, proposant des solutions directes par les concerné·es, ayant porté ses fruits pour un changement sociétal dans un accès à la santé pour toustes.
Nous, syndicat et collectifs de travailleurEUSES du sexe, associations de santé communautaire et alliées, invitons nos alliéEs féministes et syndicalistes, les miliantEs dits islamo-wokistes et de gauche à se mettre au travail conjointement en se saisissant de la question du travail du sexe et en se joignant à notre lutte contre les violences silenciées que nous subissons. Nous vous encourageons aussi à ne pas fermer les yeux sur la responsabilité des abolitionnistes jouant le jeu du bloc réactionnaire, qui se renforce en instrumentalisant les luttes.
Quitte à vouloir améliorer les conditions d’exercice et d’existence des travailleurEUSES du sexe, il est de notre droit de réclamer au législateur toute légitimité, concertation, expertise et approbation concernant nos vies dont les revendications et préconisations demeurent :
- Abroger les dispositions des lois sur le proxénétisme qui criminalisent l’entraide, la solidarité et la sororité à l’égard des TDS.
- Abroger les dispositions des lois sur le proxénétisme qui criminalisent l’embauche d’agents de sécurité et la protection bénévole des TDS.
- Abroger les mesures locales réprimant le travail du sexe (notamment les arrêtés interdisant l’exercice du travail du sexe et les arrêtés d’interdiction de stationnement visant les travailleurEUSEs du sexe).
- Favoriser la démocratie en santé en incluant les TDS et leurs associations de santé communautaires dans l’élaboration des politiques de santé publique les concernant.
- Garantir un fléchage des subventions équitables pour tous les organismes en lien direct avec le public concerné sans tri et favoritisme idéologique.
- Garantir un droit au séjour effectif pour les victimes de traite et d'exploitation sans obligation de dépôt de plainte et une extension de ce droit aux victimes de violences, leur garantissant une réelle protection.
- Garantir l'accès au droit au séjour pour toustes les travailleurEUSES du sexe migrantes.
Nous invitons les parlementaires à saisir cette opportunité de prendre contact et de travailler avec nous et de cesser les violences législatives pour réellement améliorer nos conditions de vie.
(1) Proposition de loi, n° 411 - 17e législature - Assemblée nationale
(2) Rapport-prostitution-BD_0.pdf