8 février : Intervention de la FPR au colloque de l'Université Paris Cité

La Fédération Parapluie Rouge était présente ce jeudi 8 février pour une intervention lors du colloque sur la santé mentale des personnes en situation de vulnérabilité à l'Université Paris Cité. Retrouvez le texte de notre intervention ci-dessous : 

 

Le TDS : une stratégie de survie pour les personnes neuroatypiques

Je suis Maitresse Catin, je suis travailleuse du sexe, diagnostiquée avec un TSA et un TDAH. Je fait partie du conseil d’administration de la Fédération Parapluie Rouge dont je suis aussi la porte-parole. La Fédération Parapluie Rouge se compose de plusieurs associations communautaires et de santé qui accompagnent les travailleuses du sexe en France.

L’activité du travail sexuel est une stratégie de survie pour beaucoup de personnes neuroatypiques ne pouvant pas exercer une activité classique. Mais cette stratégie, plutôt que d’être accompagnée, est combattue au travers des lois prohibitionnistes et abolitionnistes qui ont pour conséquence la dégradation de la santé mentale des personnes exerçant cette activité.

Être travailleuse du sexe, c’est s’entendre dire continuellement que notre travail n’en est pas un, qu’il s’agit d’argent facile pour lequel il suffit juste d’écarter les jambes ou de poster trois photos nues sur internet. C’est s’entendre dire que nous sommes écervelées, stupides, idiotes. C’est vivre avec le fait de savoir que nous n’avons pas les mêmes droits que les autres travailleuses, ce qui nous amène à nous sentir illégitime et peut nous amener à culpabiliser.

Être travailleuse du sexe c’est bien souvent devoir vivre dans l’ombre et mentir. Car pour la majorité d’entre nous, il s’agit d’une activité que nous cachons notamment à nos proches mais également au corps médical, aux administrations, aux banques, aux forces de l’ordre par peur du stigma, des discriminations et des exclusions qui en découlent.

Les travailleuses du sexe qui ne cachent pas leur activité doivent vivre dans la peur que leurs proches leur fassent du mal, de violences post conjugales comme le retrait de la garde de leurs enfants. Pour celles qui ont des enfants, c’est devoir leur mentir, mais lorsque ceux-ci grandissent, il devient d’avantage difficile de leur cacher leur activité. Pour celles qui sont étudiantes. c’est vivre dans la peur d’être découvertes et d’être virées de leurs écoles. Pour les télétravailleuses du sexe c’est vivre avec la peur d’être victime de revenge porn, de voir ses contenus piratés. Pour les travailleuses du sexe qui militent c’est devoir assister à la répression et à l’exclusion de ses collègues, c’est voir ses collègues souffrir et mourir dans l’indifférence générale.

Nous devons vivre avec la peur d’être exposées à des violences de tous genres, la peur de nous faire expulser de nos logements à tout moment à cause des lois sur le proxénétisme, la peur que nos conjoints et conjointes se retrouvent accuséEs de proxénétisme à cause des lois. Nous devons vivre avec la peur que nos activités soient révélées à nos proches sans notre consentement ce qui souvent mène à des ruptures familiales. Nous sommes également en première ligne des violences numériques.

Être travailleuse du sexe c’est vivre constamment avec une énorme charge mentale et devoir jongler avec diverses peurs comme celles d’être stigmatisées, discriminées, expulsées.

L’exercice du travail sexuel est un choix, ce choix ne nuit pas à la santé mentale cependant les politiques prohibitionnistes et abolitionnistes ont des conséquences sur nos conditions d’exercices et favorisent divers types de violences, notamment policières et médicales.

Le corps médical a tendance à psychiatriser les personnes qui exercent le travail sexuel en considérant que nous exerçons cette activité parce que nous aurions été exposées à des situations de violences sexuelles traumatiques que nous souhaiterions revivre au travers de cette activité. Souvent le corps médical nous perçoit comme ayant certaines fragilités mentales et comme étant facilement manipulables. Cette psychiatrisation systématique nous prive non seulement de toute autonomie, du droit de jouir de nos corps comme bon nous semble mais entrave aussi nos accès à des soins médicaux appropriés.

Le traitement des TDS par les forces de l’ordre a un impact sur l’exercice de l’activité et sur la santé mentale de ces dernières. La mise en place d’arrêtés municipaux et préfectoraux entrave l’activité et pousse les TDS à aller exercer dans des lieux isolés et mal éclairés ce qui favorise les agressions et les violences de tous genres mais accroit également les risques psycho-sociaux liés à l’isolement.

Aux Bois de Boulogne et de Vincennes, les éclairages publics sont sciemment coupés pour gêner la visibilité des femmes qui travaillent à pied, créant un environnement criminogène et ouvrant la voie aux agressions de tout genre. À Boulogne, Vincennes, Gerland et Toulouse les amendes pleuvent, ce qui a pour conséquences d’accroître la précarité des travailleuses du sexe exerçant dans la rue.

Être une travailleuse du sexe face aux forces de l’ordre c’est être une femme x 100. C’est savoir que l’on ne peut pas porter plainte, ou qu’on ne va pas être prise au sérieux notamment lorsque l’on est victime de viol. En effet dans l’imaginaire collectif et l’idéologie putophobe relayée notamment par le Mouvement du Nid, une pute ne peut pas être victime de viol puisque le travail du sexe ne serait qu’une série de viols tarifés. Nous ne saurions donc pas faire la différence entre un acte sexuel consenti et un viol. Et souvent d’après les forces de l’ordre, nous l’aurions quand même bien cherché puisque nous sommes des putes.

Il s’agit ici d’une énième stratégie pour nous museler, nous retirer toute autonomie et nous relayer au rang de corps à disposition que nous vendrions, de poupées gonflables, de femmes complètement décérébrées et incapables de faire preuve d’un minimum de jugeote. C’est invisibiliser nos vécus et nos réalités pour les faire passer pour ce qu’elles ne sont pas.

Pourtant contrairement aux fausses croyances relayées par le Mouvement du Nid, l’exercice du travail sexuel nécessite une grande autonomie, une grande polyvalence et des capacités d’adaptation face aux clients mais aussi face aux lois prohibitionnistes et aux violences d’État. Exercer le travail sexuel, ce n’est pas vendre son corps, c’est vendre un service, une prestation, un savoir faire, une expertise, du bien-être. Être travailleuse du sexe, c’est fabriquer son propre métier.

Être travailleuse du sexe et militante, c’est être capable d’auto-organisation et d’auto-gestion via des dynamiques de solidarité pour se protéger les unes et les autres des violences des clients notamment via le Projet Jasmine, porté par Médecins du Monde.

De même, les travailleuses du sexe ont mis en place une méthode d’autodéfense spécifique leur permettant de faire face aux violences physiques, mais aussi verbales et juridiques. Cette stratégie, le SWAG, s’adresse à touTEs les TDS, quels que soient leur genre, leur langue, leurs modalités d’exercice.

Les travailleuses du sexe migrantes doivent vivre avec la peur des violences policières auxquelles elles sont particulièrement exposées et savent qu’elles ne peuvent pas porter plainte en cas d’agression, de viol ou de violence. Les travailleuses du sexe migrantes se retrouvent régulièrement dans des situations d’abus de la part des forces de l’ordre, si elles sont appréhendées par ces derniers elles peuvent se retrouver en Centre de Rétention Administrative et faire l’objet d’une Obligation de Quitter le Territoire Français.

Les travailleuses du sexe migrantes font parties des plus stigmatisées en raison de l’amalgame entre la traite des êtres humains et le travail sexuel, l’État putophobe ne faisant pas le distinguo entre ces dernières.

Certaines travailleuses du sexe chinoises de Belleville ont un cancer de l’utérus, ce type de maladie au long cours nécessite bien souvent un suivi psychologique auquel ce public n’a pas accès. On a pu voir ici aussi la solidarité communautaire se déployer autour de ces dernières mais cela reste insuffisant car l’accès à la santé des TDS migrantes est restreint parce que sans papiers et parce que n’étant pas francophones.

Les télétravailleuses du sexe, camgirls, créatrices de contenu sont exposées potentiellement à du cyberharcèlement et des cyber violences. Ces dernières ne sont pas prises au sérieux par les forces de l’ordre qui mettent souvent tout en oeuvre pour nous dissuader de porter plainte.

Durant la pandémie du COVID 19 puis l'épidémie de Monkeypox les travailleuses du sexe de rue et escortes ont été encore plus vulnérabilisées et se sont retrouvées dans des situations de grande précarité parfois sans ressources, expulsées de leur logement, ne pouvant plus payer factures, loyers, et alimentations.

À cette occasion nous avons pu voir une grande solidarité communautaire se tisser notamment avec la mise en place de diverses cagnottes par et pour venir en aide aux travailleuses du sexe les plus précarisées par la crise sanitaire.

Mais l’on a aussi pu constater une augmentation considérable du nombre de télétravailleuses du sexe (caming, créatrice contenu) qui a eu pour conséquence de précariser d’avantage les travailleuses déjà exerçantes et d’accroître la compétition entre ces dernières, ce qui a favorisé les violences intra-communautaires. Tous ces éléments ont des conséquences directes sur la santé mentale des travailleuses du sexe.

Les travailleuses du sexe ne se sont pas remises de la pandémie du COVID-19, qui a un impact durable tant sur leur santé mentale que sur leurs activités. Pandémie qui a été suivie de près par l’épidémie de MonkeyPox.

Dans le contexte actuel de crise économique et d’inflation les travailleuses du sexe sont de plus en plus nombreuses, mais les clients eux se raréfient pendant que les violences s’accroissent dans l’indifférence générale.

Les violences de tous genres se font de plus en plus importantes notamment à l’approche des Jeux Olympiques. Les grands évènements sportifs sont toujours un prétexte pour réprimer les travailleuses du sexe et les déloger de leurs lieux d’exercice sous couvert de maintien de l’ordre public et de la propreté.

Ainsi l’année dernière durant la Coupe du monde de rugby, nous avons pu assister à un véritable nettoyage du quartier de Gerland à Lyon où plus de 100 travailleuses du sexe qui exerçaient et vivaient en camionnette ont été harcelées, violentées y compris physiquement puis délogées via un arrêté préfectoral. À Nantes, des personnes hébergéEs par le 115 ont été délogéEs par des hôtels qui voulaient louer aux supporters, expulsant ainsi les familles des TDS les plus précaires. 

Le même scénario se dessine à l’approche des Jeux Olympiques, la préfecture et la mairie de Paris ayant décidé de déloger à leur tour les travailleuses du sexe des bois de Boulogne et de Vincennes.

La santé mentale des travailleuses du sexe est intrinsèquement liée aux politiques prohibitionnistes et putophobes mises en place par l’État français. La sensibilisation du corps médical aux problématiques des travailleuses du sexe est essentielle pour une meilleure prise en charge.