VIH, PrEP & travail sexuel

Note du Collectif « Droits & Prostitution » en direction des pouvoirs publics, des professionnels, et militants de la lutte contre le sida.

Contexte

Ces dernières années, le mouvement pour la lutte contre le VIH/sida s’est fortement réjoui de l’arrivée d’un traitement de prophylaxie pré-exposition autrement appelé PrEP. Il s’agit d’un médicament anti-VIH qui permet d’empêcher une contamination, et pour la première fois depuis le début de l’histoire du VIH/sida, d’avoir des rapports sexuels sans préservatifs, avec une efficacité de protection comparable à ces derniers. C’est une bonne nouvelle notamment pour beaucoup d’hommes gays qui expriment depuis longtemps une lassitude et un relâchement quant à l’usage du préservatif, perçu comme la cause principale des contaminations dans cette population clé. Qu’en est il en revanche des travailleurSEs du sexe ?

Certaines recommandations considèrent les travailleurSEs du sexe comme une des populations cibles pour un usage de la PrEP mais rarement en prenant compte de leur avis. Or, les associations de santé communautaire œuvrant depuis des décennies pour la prévention et la santé observent que la difficulté première exprimée n’est pas liée à une lassitude quant au port du préservatif, mais à un contexte économique difficile réduisant le pouvoir de négociation face aux clients. C’est plutôt dans le cadre de leur vie privée, avec leurs partenaires, que les travailleurSEs du sexe ont des rapports sexuels sans préservatifs. Le préservatif apparait alors souvent comme un « outil de travail » distinguant la sexualité avec les clients de celle avec ses amantEs. Beaucoup de travailleurSEs du sexe tirent même fierté d’avoir été parmi les premières à adopter le préservatif au début de l’épidémie VIH, et se considèrent comme les premières actrices de prévention en éduquant leurs clients.

Depuis janvier 2016, la PrEP est remboursée par la sécurité sociale pour celles et ceux qui y sont affiliéEs, et accessible via différents services hospitaliers en charge du VIH. A ce jour, nous n’avons pas constaté de demande accrue suite à son remboursement, mais la PrEP suscite cependant un intérêt parmi quelques travailleurSEs du sexe, notamment chez certains hommes gays et femmes trans. Il nous a donc semblé important de produire cette note condensant nos observations et recommandations en la matière.

La prévalence VIH chez les travailleurSEs du sexe

Selon l’ONUSIDA, au niveau mondial, la prévalence au VIH est 12 fois plus grande chez les travailleurSEs du sexe que dans la population générale. En revanche pour la France, la Haute Autorité en Santé constate une prévalence identique entre les travailleuses du sexe et les autres femmes. (1) La HAS indique également que les données scientifiques ne sont pas suffisantes pour établir une surexposition au VIH des hommes travailleurs du sexe par rapport aux autres HSH (2) (Hommes ayant des rapports Sexuels avec des Hommes), ainsi que pour les travailleuses du sexe trans par rapport aux autres femmes trans.

La HAS considère que ce résultat est lié à de « bonnes pratiques de prévention du VIH » au sein de cette population. Cela rejoint le rapport du Conseil National du Sida qui exprimait déjà en 2010 que : « l’activité prostitutionnelle ne représente pas en elle-même un facteur de risque de transmission du VIH/sida, ni pour les personnes qui l’exercent, ni pour leurs clients ». (3) En effet, l’ensemble des études disponibles indiquent un usage du préservatif avec les clients allant de 85 à 95% des répondants pour la pénétration et allant de 45 à 75% pour la fellation. L’usage du préservatif avec les partenaires intimes descend néanmoins en dessous de 50%.

L’absence de surexposition au VIH et les habitudes d’usage du préservatif avec les clients est selon nous une conséquence du travail des associations de santé communautaire en France. Cette situation explique sans doute le peu de demandes pour la PrEP de la part des travailleurSEs du sexe. Néanmoins, la prévalence VIH étant plus forte chez les hommes gays et les femmes trans, il est logique que ces groupes au sein de la communauté des travailleurSEs du sexe se sentent davantage concernés par la PrEP.

Les autres IST

Si la prévalence au VIH ou à la syphilis restent comparables à celles de la population générale, il n’en est hélas pas de même pour d’autres IST. Le rapport de la Haute Autorité en Santé note en effet une surexposition aux risques d’infection aux chlamydias et au papillomavirus (4) de 10 à 15 fois plus forte chez les travailleurSEs du sexe. Cela peut s’expliquer par des risques de transmission malgré l’usage du préservatif, mais également par un moindre recours au dépistage par prélèvement des muqueuses spécifiques à ces IST, que pour le dépistage par test sanguin.

En connaissance de ces données, il est bon de rappeler que la PrEP n’est un moyen de protection que contre le VIH et non contre les autres IST ou les grossesses non désirées. Bien que le préservatif ne soit pas entièrement efficace contre certaines IST tels le HPV (papillomavirus), il reste l’outil de protection le plus efficace contre l’ensemble des IST.

Les facteurs de vulnérabilité au VIH/IST

Les données scientifiques disponibles montrent que les facteurs de vulnérabilité au VIH et IST sont davantage liés au contexte d’exercice du travail sexuel qu’aux outils de prévention eux mêmes. Par exemple, certaines pratiques policières telle celle d’utiliser la détention de préservatifs comme preuve de prostitution contrecarrent considérablement l’adhérence des travailleurSEs du sexe à cet outil.

Plusieurs études publiées dans The Lancet mettent en lumière l’impact des politiques de pénalisation quant à l’exposition au VIH des travailleurSEs du sexe. (5) Il en ressort que la dépénalisation du travail sexuel contribuerait à une baisse des infections VIH dans cette population de 33 à 46% en une décennie. De son côté, la Haute Autorité en Santé considère qu’il existe des données scientifiques sur l’impact du déplacement des prostituées vers des zones périphériques et l’impact des lieux d’activité (indoor versus outdoor) sur la demande de rapports sexuels non protégés et la propension des personnes à les accepter, ainsi que sur l’exposition de ces personnes aux violences. (6)

La HAS en tire les conclusions suivantes : "ces éléments permettent d’argumenter l’existence de conséquences potentielles négatives de politiques de pénalisation de l’activité prostitutionnelle". En effet, d’après l’étude de Krüsi et al. 2014, les politiques de pénalisation des clients tendraient à avoir des effets relativement similaires sur la clandestinité des échanges sexuels que les autres formes de pénalisation, et donc des effets de déplacements induits.

Elle ajoute : "Sur la base des données disponibles qui ont été exposées ci-dessus, il est envisageable que les politiques de pénalisation puissent être défavorables à la santé des personnes. Des données canadiennes permettent d’identifier de façon indirecte d’éventuels effets délétères de politiques de pénalisation des clients : il semble en effet que le déplacement des personnes dans des zones isolées et le caractère clandestin des échanges entre les personnes en situation de prostitution/tds et les clients accroissent la difficulté des premières à négocier des rapports sexuels protégés et accroissent le risque de violences. Il apparaît également que les personnes exerçant leur activité dans la rue sont davantage exposées à des risques de violence que celles exerçant leur activité dans des établissements (sauna, salon de massage) comme le montre une étude menée en Grande-Bretagne". (7)

Tout en étant une conséquence des politiques de pénalisation, l’exposition accrue aux violences est également une cause de vulnérabilité supplémentaire au VIH.  Une étude conduite en Ukraine et au Kenya démontre que les infections au VIH étaient réduites de 25% lorsque les travailleuses du sexe n’étaient pas exposées à des violences physiques et sexuelles. (8)

Tandis qu’en Corée du Sud, des chercheurs ont trouvé un lien de corrélation entre les lois de pénalisation des clients et une augmentation des infections aux IST, (9) en Nouvelle Galles du Sud, Australie, aucun cas de transmission VIH n’a été répertorié depuis que le travail sexuel y a été dépénalisé en 1995. (10)

Depuis la pénalisation des clients en France, nous observons également une précarisation et une mobilité accrue. Cela conduit certaines travailleurSEs du sexe à accepter des rapports sexuels sans préservatifs avec leurs clients, mais aussi à des interruptions de traitements ARV ou PrEP lorsqu’elles doivent se déplacer loin de chez elles sur une plus longue période. Les démarches administratives de renouvellement de prescriptions de médicaments ou auprès de la sécurité sociale pour leur couverture médicale passent au second plan après le fait de devoir maintenir le niveau de ses revenus.

La PrEP renforce t’elle l’empowerment ?

Un argument important en faveur de l’accès à la PrEP est la diversification des outils de prévention et un choix plus grand pour les personnes concernées. Il est souvent évoqué les difficultés existantes en faveur de l’usage du préservatif, et pour les travailleurSEs du sexe, un contexte dans lequel la demande des clients pour des rapports sexuels non protégés peut s’avérer très forte. Dans ce cadre, la PrEP est évidemment présentée comme une solution.

Or, au sein de la communauté des travailleurSEs du sexe, les débats concernant l’usage de la PrEP ont régulièrement porté sur la peur d’une perte de pouvoir de négociation face aux clients. Faut-il céder à la volonté des clients d’avoir des rapports sans préservatifs ou plutôt renforcer le pouvoir des travailleurSEs du sexe pour qu’elles/ils puissent imposer le choix de leurs pratiques et outils de prévention?

C’est pour l’instant la seconde logique qui prévaut, avec la volonté de lutter davantage contre les facteurs structurels de vulnérabilité au VIH telle la criminalisation du travail sexuel et la précarisation des personnes. Les travailleurSEs du sexe veulent que la PrEP relève de leur choix et non de celui des clients, et redoutent ainsi l’impact de potentielles campagnes ‘grand public’ en dehors des populations clés.

Cependant, la PrEP peut être perçue comme un outil positif et intéressant lorsqu’elle est utilisée comme une protection supplémentaire au préservatif en cas de rupture de ce celui-ci. La qualité des préservatifs offerts par les pouvoirs publics varie énormément, et les accidents de préservatif peuvent arriver malgré une très bonne connaissance et pratique de leur usage.

C’est la raison pour laquelle nous observons une demande beaucoup plus forte du recours au traitement post exposition (TPE) et la revendication d’un accès au TPE dès le contact avec les associations de santé communautaire sans perdre de temps pour se rendre aux urgences. Puisque la PrEP est recommandée en usage prophylactique et que l’on souhaite diversifier les choix des outils de prévention auprès des populations clés, il est de moins en moins compréhensible que le TPE ne soit pas plus facilement accessible pour les travailleurSEs du sexe qui en font la demande.

Défendre le choix et l’autonomie des personnes est une des bases du renforcement de l’empowerment et donc d’une prévention efficace. Garder le pouvoir face aux clients est revendiqué par les travailleurSEs du sexe comme une part intégrante et importante des bonnes pratiques de prévention. C’est pourquoi, les associations de santé communautaire ou de prévention avec les prostituées ont parfois tenté de mettre en place des programmes en direction des clients, afin que ceux-ci respectent les conditions et les choix de prévention des travailleurSEs du sexe.

Ces programmes de prévention qui étaient soutenus par les pouvoirs publics sont à présent fortement compromis par la nouvelle politique de pénalisation des clients. La prévention repose à nouveau uniquement sur les travailleurSEs du sexe, et la précarisation accrue détruit tous les efforts de renforcement de leur pouvoir de négociation. Cette situation est ressentie comme absurde par beaucoup de travailleurSEs du sexe qui ne comprennent pas que dans le même temps, le ministère de la santé et des droits des femmes promeuve un outil de prévention permettant d’avoir des rapports sexuels sans préservatifs avec les clients tout en pénalisant leur recours à ces mêmes services sexuels.

La PrEP qui aurait du être un élément positif renforçant la lutte contre le VIH/sida ne parvient pas à pallier les effets d’une nouvelle prohibition catastrophique pour la prévention chez les travailleurSEs du sexe. Les discussions sur la PrEP dans le monde de la lutte contre le sida sont tout de même l’occasion de mieux prendre en compte la nécessité d’une approche globale et d’un accompagnement complet tout en permettant un éventail de choix des outils de prévention afin de s’adapter à la situation de chaque personne. Plus que l’outil de la PrEP en soi, au-delà de la seule prise de Truvada, l’accompagnement et le suivi offerts dans le cadre des consultations sont un réel bénéfice pour une communauté discriminée et stigmatisée dont les pouvoirs publics se soucient peu de la santé.

Il est essentiel que la prévention en direction des travailleurSEs du sexe (ou d’autres populations) ne se réduise pas à laisser seules les personnes avec les outils de prévention disponibles, mais tienne compte du contexte général dans lequel elles vivent, et donc reconnaisse la lutte pour les droits, la décriminalisation et le renforcement du pouvoir économique comme une composante cruciale de la lutte contre le VIH/sida.

Recommandations

  • La PrEP doit être un outil au sein d’une palette de différents types d’offres de prévention, et pas la seule offre disponible.
  • Les campagnes de prévention doivent promouvoir la prévention combinée dans son ensemble, soit préservatif + dépistage + traitements : ces derniers comprenant tant le TPE que la PrEP ou le TASP, et rappeler que le principe même de la PrEP inclut un counseling, une offre de dépistage de routine incluant un check-up sexuel (examens cliniques, prélèvements locaux, et tests sanguins) et la mise à disposition de préservatifs + gel
  • L’offre de prévention ne doit pas se limiter au VIH mais s’élargir aux autres IST, ainsi qu’aux autres problèmes de santé
  • Une offre de dépistage complète doit être disponible pour les travailleurSEs du sexe intégrant une diversification des zones de dépistage et pas uniquement les tests sanguins
  • Les programmes de prévention doivent être complets incluant un éventail de choix des outils disponibles mais également un accompagnement et un suivi qui tienne compte du mode de vie des personnes (mobilité, précarité, logement, séjour, etc)
  • L’offre de prévention et de counselling doit se faire dans une langue parlée par les travailleurSEs du sexe avec des médiateuRICEs  culturelLEs
  • Le Traitement Post Exposition (TPE) doit pouvoir être accessible gratuitement par le biais des associations de santé communautaire, en lien avec les CeGIDD.
  • Des campagnes de prévention ciblées en direction des clients doivent être financées et réalisées via les associations de santé afin que ceux-ci respectent les conditions et les choix des travailleurSEs du sexe
  • Les personnels soignants et de santé doivent être formés à la question du travail sexuel pour ne pas reproduire de jugements négatifs de type abolitionnistes ou autres
  • La stigmatisation du travail sexuel, des travailleurSEs du sexe et des clients doit être combattue
  • Le travail sexuel doit être décriminalisé (racolage public, arrêtés municipaux, clients, famille et conjoints, tierces parties), ce qui inclut l’abrogation de la loi du 13 avril 2016, pénalisant les clients et conditionnant toute aide à l’arrêt de notre activité
  • Une réelle politique publique de lutte contre les violences faites aux travailleurSEs du sexe respectueuse de notre autodétermination et qui n’amalgame pas le travail sexuel entre adultes consentants à une ‘violence faite aux femmes’ doit être mise en place immédiatement
  • Le libre choix ou la décision prise dans l’exercice de son travail doit être respectée pour touTEs les travailleurSEs du sexe, y compris séropositifVEs

(1) Lien: HAS-Santé (PDF)
(2) HAS, op cit, p20
(3) Conseil national du sida, « VIH et commerce du sexe. Garantir l’accès universel à la prévention et aux soins », 16 septembre 2010, Lien (PDF), p.6.
(4) HAS op cit p23
(5) Lien: The Lancet
(6) Shannon, Strathdee, Goldenberg, et al 2009 Lien: The Lancet (PDF)
(7) HAS, op cit, p48
(8) Decker et al 2013 Lien: NCBI
(9) Y. Lee & Y. Jung (2009), The Correlation between the New Prostitution Acts and Sexually Transmitted Diseases in Korea, The Korean Journal of Policy Studies
(10) Lien: Kirby Institute