Le 13 avril 2020 marque les 4 ans de la loi de pénalisation des clients, dans un contexte dramatique. Le gouvernement n’a, depuis la promulgation de la loi, pas eu un seul mot à la suite des meurtres en série commis sur des travailleurSEs du sexe. Il n’a rien prévu pour faire face à la crise. Il n’a toujours pas remis le rapport d’évaluation de la loi de 2016, dont la publication était annoncée pour avril 2018 !
On nous dit qu’il est encore trop tôt pour présenter les effets positifs de la loi car celle-ci mettrait du temps à être appliquée. Les clients ont cependant été pénalisés dès après le vote de la loi sans nul besoin de décret d’application ! Nous dénonçons régulièrement les conséquences de cette pénalisation sur nos conditions de vie, notre santé, et notre sécurité. Ces effets négatifs ont été documentés et présentés par des universitaires, comme ils l’ont été en Suède depuis 20 ans (rapport traduit en français à l’occasion des 4 ans de la loi en France), mais rien n’y fait.
Nous n’avons donc pas eu d’autre choix que d’attaquer la France devant la Cour Européenne des Droits de l’Homme (CEDH), action portée par plus de 250 travailleurSEs du sexe de toutes nationalités. Le Conseil Constitutionnel a lui-même reconnu que la France bafoue nos droits humains, mais qu’il était légitime pour le législateur de limiter nos libertés au nom de la lutte contre la traite. Cette dernière est malheureusement un échec total. Tous les indicateurs policiers comme associatifs montrent une hausse de l’exploitation, notamment celle des mineurs.
Aujourd’hui à cause du confinement, nous ne pouvons pas manifester dans les rues pour rappeler notre opposition aux politiques de pénalisation. Nous choisissons donc de nous exprimer via les réseaux sociaux au travers de différents hashtags dont #4ansloiprostitution.
La crise liée au COVID19 révèle plus que jamais les défaillances de l’état et l’inefficacité du système abolitionniste à protéger les travailleurSEs du sexe. En quelques jours, nos associations ont aidé via la mise en place de cagnottes, et grâce à la solidarité du public, + de 500 travailleurSEs du sexe sur toute la France, soit au moins deux fois plus que le gouvernement en 4 ans, via ledit « parcours de sortie de la prostitution ».
Nous forcer à arrêter le travail sexuel, les prohibitionnistes en rêvaient, le coronavirus l’a fait. Pourtant, alors que la classe politique nous explique que le travail sexuel est une violence, et cherche à nous décourager dans l’exercice de notre travail via la pénalisation de nos clients et des parties tierces, celle-ci est incapable d’assurer notre survie. Au moment où nous sommes concrètement dans l’impossibilité de travailler, on nous explique que seules les personnes déclarées sous le régime de l’auto-entreprise pourront recevoir une indemnité compensatoire, et ce, sous certaines conditions.
Cette crise illustre donc ce que nous disons depuis toujours, à savoir que seule la reconnaissance du travail sexuel comme travail, notre inclusion au sein de l’économie formelle, l’accès au droit commun et aux protections sociales dont bénéficient les autres travailleurs, et donc la décriminalisation pleine et entière du travail sexuel, la lutte contre la pauvreté et les injustices sociales et sexistes, ainsi que la régularisation des travailleurSEs sans-papiers, permettra de nous protéger réellement.
A défaut, nous avons été contraints d’exiger la mise en œuvre d’un fonds d’urgence pour répondre aux besoins de première nécessité et à l’extrême précarité dans laquelle nous nous trouvons. Comme à son habitude, Madame Schiappa a préféré nous snober, prétextant d’autres affaires à régler, et qu’il était #trèscompliqué de répondre à nos demandes. Le gouvernement montre une fois de plus son irresponsabilité face à l’actuelle crise sanitaire, puisqu’en laissant à leur sort les travailleurSEs du sexe, il nous condamne à prendre des risques pour notre santé et celle de notre entourage.
De l’argent pourtant il y en a ! Chaque année, le gouvernement prévoit environ 5 millions d’euros de budget pour « aider » les travailleurSEs du sexe via ledit « parcours de sortie de la prostitution ». Ces crédits ne sont jamais entièrement dépensés faute d’un nombre suffisant de personnes suivies via ce dispositif à cause de conditions d’entrée strictes, totalement arbitraires et discriminatoires. Ils sont donc régulièrement réajustés ailleurs à des fins d’équilibres budgétaires.
Madame Schiappa a ensuite le culot de prétendre aider financièrement les travailleurSEs du sexe via des conventions pluriannuelles avec l’état. Or, seules les associations anti-prostitution y ont accès, jamais les associations de travailleuses du sexe, qui sont néanmoins en première ligne pour organiser l’entraide et la solidarité, quand d’autres ferment leurs portes et cessent leurs actions.
La situation est intolérable. Il est donc urgent de changer de paradigme et de nous écouter enfin. Nous ne sommes pas le problème, nous faisons au contraire partie de la solution.
Signataires : Acceptess-T, Autres Regards, Bus des Femmes, Cabiria, Grisélidis, STRASS, Fédération Parapluie Rouge
Avec le soutien de AIDES et Polyvalence